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L'accueil : Résistance ?

 

réponses des historiens Robert Paxton et Julian Jackson

 

Le Chambon-sur-Lignon (Journées Mémoires du Plateau, le 12 juin 2004)

 

[vidéo bientôt]

 

Robert Paxton (au centre) et Julian Jackson (à droite) ont répondu aux questions de Pierre Sauvage


Extrait de la conférence

Julian Jackson

Ce qui est intéressant c'est que c'est très souvent ce sont des Juifs français qui nous ont rappelé qu'il y quand même eu des Français qui ont sauvé des Juifs.

Pierre Sauvage

Justement, c'est un Juif français — je ne suis pas américain contrairement à ce que répète toujours La Tribune, je suis resté français — qui vous pose la question.  Ici, bien sûr, nous sommes en terre un peu particulière, qui a été une terre d'accueil.  Peut-être pour conclure : Est-ce que l'accueil était une forme de résistance ?

Ou est-ce que l'accueil risque d'être récupéré par la Résistance, alors que la Résistance ne s'occupait pas particulièrement des Juifs ?  Et donc cela pourrait être un processus dangereux.  Comment le gérer ?  Comment attribuer à l'accueil l'importance qu'elle doit avoir tout en n'en déformant pas le sens ?

Robert O. Paxton

C'est très difficile, évidemment.  Je crois absolument que l'accueil est une forme de résistance parce que l'accueil était dangereux....Il y avait presque 300 000 cartes de Résistants, mais ça ça serait une définition trop étroite.  A l'autre extrême, on dirait que tout le monde qui avait une mauvaise pensée pour les Allemands était un Résistant.  Ça serait absurde.  Mais quelque part entre les deux il y a une définition raisonnable.  Toute action qui est dangereuse, qui va à l'encontre des volontés des Allemands et de Vichy est une action de la Résistance.  Donc l'accueil pour moi, ici, c'était certainement une action de la Résistance, et je crois que ce point-là c'est essentiel.

Julian Jackson

Oui, en fait là aussi je suis tout à fait d'accord.  Quand j'ai parlé tout à l'heure de la Résistance, il faut dire qu'il y a toute une question de ce qui est résistance, en fait.  C'est à dire que c'est quoi de résister ?

Je pense au roman le plus célèbre de la Résistance, ou parmi les plus célèbres, Le Silence de la mer, qui est l'histoire, comme vous le savez j'imagine, d'un vieil homme et sa nièce.  Il y a un Allemand chez eux, et la Résistance dans cette famille c'est de ne pas parler à l'Allemand.  Sauf à la dernière page où la nièce dit " Adieu ".  Donc c'est la Résistance du silence.

Tandis qu'[il y a le cas du] père de Pierre Vidal-Naquet, encore un Juif qui était en fait sauvé dans cette région, à Saint-Agrève et [aussi] à Dieulefit.  Il a perdu sa famille, mais il a publié le journal de son père, Lucien Vidal-Naquet, où [celui-ci] parle du " silence d'abjection " — c'est une phrase de Chateaubriand.  Et je veux dire que ça dépend du contexte, en fait.  On peut imaginer que le silence dans une certaine situation peut être... — de ne pas dire quelque chose à quelqu'un qui veut le savoir, ça peut être, dans un certain sens, un fait de Résistance, mais il ne faut quand même pas exagérer.

Mais pour revenir à cette question d'accueil, il me semble que c'était le projet des Allemands de trouver et de déporter et d'exterminer tous les Juifs d'Europe, la France comprise.  Et donc de sauver des Juifs était un acte de résistance dans le sens où ça sabotait un des objectifs [principaux] des Allemands.  Donc ça doit être de la Résistance.  Et c'était aussi, comme vient de le dire M. Paxton, très dangereux.

Je crois qu'on ne peut pas résister de façon légale ; il y a un pas à faire contre la loi.  Par exemple si on prend le S.T.O. [Service du Travail Obligatoire], les réfractaires [qui refusèrent de partir en Allemagne], il y avait [parmi eux] de jeunes gens qui ne voulaient pas être envoyés en Allemagne et qui sont devenus maquisards.  Mais quelques fois ils ne sont pas devenus maquisards, ils se sont réfugiés chez des paysans.  Est-ce qu'ils étaient des Résistants ?  C'est moins évident pour moi.  Mais en même temps, le fait d'avoir refusé d'aller en Allemagne sabotait quand même un peu la politique allemande.  Donc c'est vraiment très difficile.

Et il y a toute la question de la résistance juive et de la résistance communiste juive.  Il y avait des communistes juifs comme Annie Kriegel, par exemple, qui résistait en tant que communiste.  Et il y avait des Juifs comme Pierre Mendès-France, qui était à Londres, qui ne voulait pas être vus comme Juif.  On organise à mon université [le 16 juin 2004] un colloque d'une journée pour le soixantième anniversaire de la mort de Marc Bloch, le grand historien, le fondateur de l'école des Annales.  Bloch ne voulait pas être vu comme un Juif.  Il a dit, si on commence à discriminer contre les Juifs jamais je ne nierai que je suis juif.  Mais je suis français, je suis [d'abord] français.

Mais pour revenir à la question, oui, pour moi, l'accueil c'est une forme de résistance et à mon avis c'est évident : c'est dangereux, ça sabote les objectifs des Allemands C'est de la résistance.


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