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Remarques de Pierre Sauvage, Cérémonie du Souvenir
Le  Chambon-sur-Lignon, le 26 juillet 1986

 Appel en 1986 pour « le véritable musée historique auquel Le Chambon et la région ont droit » !

Du 25 au 27 juillet 1986 eut lieu au Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire) la seconde réunion de juifs aidés et abrités par la population du Chambon-sur-Lignon et du plateau environnant sous l’Occupation.  (La première avait eu lieu en 1979, lors de la pose de la plaque du souvenir ci-dessous.)

Quelques uns des anciens réfugiés posent ensemble en 1986

Pierre Sauvage en 1986

Les remarques qui suivent furent prononcées lors de la cérémonie du souvenir, réunissant juifs et habitants du Plateau, qui s'est déroulée devant la plaque, en face du temple protestant du Chambon.  L'intervention fut suivie par la récitation du kaddish.

Nombre d’anciens réfugiés assistèrent par la suite au colloque tenu au Chambon du 12 au 14 octobre 1990, qui fut l’occasion de la première au Chambon du documentaire Les armes de l’esprit.  Récemment, la troisième réunion — la Réunion Libération accompagnée des Journées Mémoires du Plateau — eut lieu du 11 au 13 juin 2004.  Organisée par la mairie du Chambon-sur-Lignon et la Fondation Chambon (USA), elle se déroula sous le haut patronage de Son Excellence Nissim Zvili, Ambassadeur d’Israël, avec le soutien de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah.

 Chers amis,

Max Liebmann et Denise Siekierski ont bien exprimé pourquoi nous sommes ici ce week-end, nous les juifs qui avons connu la singulière hospitalité du Chambon-sur-Lignon et de la région pendant la guerre.  Pour quelques uns d'entre vous réunis ici ce soir, c'est un retour devant la plaque du souvenir que vous avez eu l'heureuse inspiration de faire poser ici il y a sept ans. Cette plaque, je n'en doute pas, devait signifier le début de quelque chose et non simplement la fin.

C'est dans cet esprit que nous nous réunissons ici ce week-end. « Le souvenir du juste », nous rappelle la plaque, « restera pour toujours ».  Oui, si nous y travaillons!

En ce qui me concerne personnellement, c'est à deux reprises que Le Chambon a affecté ma vie, et ce n'est plus évident pour moi laquelle des deux est la plus importante.  C'est sur ce plateau que j'eus la chance de naître, à cette époque, alors même qu'une grande partie de ma famille disparaissait dans le gouffre qu'était cette époque.

Mais c'est seulement dans les dernières années que Le Chambon a commence à compter véritablement pour moi, et que j'ai ressenti le besoin de comprendre ce qui s'y était passe au moment de ma naissance.  Et comme je suis réalisateur, ce besoin de comprendre est devenu rapidement un besoin de raconter.

Et tout cela m'a entraîné bien plus loin que je ne le prévoyais, a entraîné — pour être franc — un bouleversement de mes priorités professionnelles et personnelles.  Oserai-je le dire?  La découverte des valeurs spirituelles, le développement d'une identité juive chaque jour plus importante pour moi.  Pour ne rien vous cacher, j'avais bien du chemin à faire.  J'ai encore bien du chemin à faire.

Mais je sais en tout cas qu'une partie importante de ma vie sera consacrée à une confrontation permanente avec la Shoah — la désintégration morale de l'être humain, la désintégration de la conception même de l'être humain — qui s'est produite il y a seulement quelques années.

Et le monde n'a pas changé radicalement de nature simplement parce que les Nazis et leurs complices français et autres ont perdu la guerre.  Nous vivons encore dans le même monde qui permit qu'un million et demi d'enfants soient torturés et assassinés, systématiquement, délibérément, pendant plusieurs années de suite, devant l'indifférence quasi générale.

Mais comment confronter l'atroce réalité de notre faiblesse humaine, comment accepter, comment enseigner les accablantes leçons de désespoir, sans l'aide, sans le réconfort, sans l'inspiration des quelques précieuses leçons d'espoir que cette époque nous lègue aussi, presque miraculeusement.  Il y a les actions individuelles de ceux que nous appelons en hébreu les chassidei umot ha'olam, les justes parmi les nations.  Il y a l'action, à la fois individuelle et collective, du Chambon-sur-Lignon et du plateau qui l'entoure.

C'est dans ce sens-là que j'ai créé une association à but non lucratif aux États-Unis, Friends of Le Chambon c'est-à-dire Amis du Chambon [devenue en 1998 la Chambon Foundation ou Fondation Chambon, associée en France à l’association « loi 1901 » Amis du Chambon].  C'est dans cette optique-là que je me consacre depuis trop longtemps à ce long-métrage documentaire, Les armes de l'esprit [sorti en 1989], dont j'ai amené ici la copie de travail et que je ne montrerai nulle part ailleurs avant que le film ne soit fini, mais que je me permets égoïstement de vous montrer ici, afin d'obtenir vos dernières remarques, critiques, suggestions, photos et documents.

Photos et documents qui doivent aussi permettre [un jour la création du] véritable musée historique auquel Le Chambon et la région ont droit.

En conclusion, je voudrais indiquer que je sais bien que les habitants du Chambon qui ont vécu cette époque, qui ont contribué à l'action de sauvetage qui s'y est déroulée, sont gênés par une attention qu'ils jugent excessive, embarrassante, souvent maladroite.  Je sais aussi que nombre d'entre vous au Chambon estimez que cet intérêt que le monde extérieur vous porte tout d'un coup depuis quelques années est passager et passera.

Il n'en est rien !  Le Chambon devient un symbole.  Le monde désire savoir qu'il y a eu, au moins, Le Chambon.  Qu'il peut toujours y avoir Le Chambon.  L'intérêt de ce monde traumatisé ne fait que commencer, et que vous le vouliez ou non ici, quoique vous fassiez, cet intérêt va croître de jour en jour.  Il dépend de vous sur le plateau, et de nous juifs qui savons quelque chose de ce qui s'y est passé, que cet intérêt croissant débouche non sur un cirque mais sur un monde meilleur.

Vous n'avez donc pas fini ici de rendre service, et je sais que c'est au nom de tous les juifs ici aujourd'hui, et au nom de bien d'autres qui ne le sont pas, que j'exprime notre reconnaissance non seulement pour ce que vous avez fait pour nous dans le passé, mais aussi pour ce que vous nous permettez de ressentir maintenant au souvenir de ce que vous avez fait.


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