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Mesdames, Messieurs,
(...) A la lecture du titre de votre rencontre, les images de deux films me sont revenus à l'esprit.
Ce sont, tout d'abord, celles du magnifique film de Louis Malle "Au revoir les enfants", car, malgré le courage de ces religieux qui, au péril de leur vie, tentaient de sauver un peu de l'âme de l'Occident, beaucoup de ces enfants traqués ont été sacrifiés à la barbarie nazie. Et c'est d'abord à eux que vous me permettrez de vous inviter à penser.
Ce sont ensuite les images bouleversantes du film de Pierre Sauvage Les armes de l'esprit, qui témoignent qu'au coeur du massif Central, au Chambon sur Lignon, des paysans sans beaucoup de ressources matérielles, mais armés de leur foi, intraitables sur l'amour d'autrui quel que soit sa couleur ou sa religion, ont caché, soigné, choyé, bref, aimé, ces milliers d'enfants qui n'avaient eu comme seul tort -aux yeux des barbares- que d'être nés juifs.
Ces images, parmi d'autres témoignages, nous engagent dans un travail impérieux de mémoire : pour ne pas oublier tous ceux qui ont, car telles étaient leurs convictions, donné une nouvelle famille à ces enfants; pour, enfin, donner la parole à ces enfants qui, durant leur vie, ont fait silence sur leur histoire.
« Ecoutez le terrible silence de ces enfants, contraints d'endurer l'insupportable », dit Bruno Bettelheim. Leur supplice est muet : il leur faut, à toute force, ensevelir au profond de leur âme une blessure, une angoisse qui jamais ne les quitte, un chagrin si cruel qu'il défie toute expression ! Et cela, non pas seulement quand l'événement destructeur s'est abattu, non pas seulement dans les moments qui l'ont suivi, non pas seulement dans l'enfance, cet âge où nous avons tous du mal à faire passer dans les mots ce qui nous touche le plus vivement, à nous ouvrir de ce que nous ressentons le plus profondément : cela, pendant des années et des années. C'est une blessure, si douloureuse, si omniprésente, si généralisée, qu'il paraît impossible d'en parler, même quand une vie entière a passé. Seulement, pour ceux qui continuent d'en souffrir, la vie n'a pas passé : le mal est aussi présent, aussi réel qu'au jour où il est survenu. »
Vous l'avez compris, vous avez, nous avons, ce devoir de mémoire à l'égard de ceux qui ont, malgré tout, disparu; à l'égard de ceux qui ont tout fait, tout donné, même leur vie, pour qu'il n'en soit pas ainsi ; à votre égard, car votre vie témoigne de ce qui ne doit plus jamais se produire.
Permettez moi, pour terminer, de citer notre Premier ministre, M. Lionel Jospin, pour ses propos à l'occasion de la cérémonie de commémoration de la rafle du "Vel' d'Hiv", le 20 juillet dernier : « La pérennité de la mémoire est déposée entre les mains de chacun d'entre nous… "Souviens-toi !". "N'oublie pas !". Ces prescriptions immémoriales doivent nous inspirer. La mémoire est précieuse, mais fragile. Pour vivre, elle doit servir. Elle doit marquer les comportements personnels et publics. Disons ici, aujourd'hui et ensemble, que nous ne voulons pas oublier, non seulement parce que nous le devons à ceux qui ont tant souffert, mais aussi pour éclairer notre conscience et pour que le sentiment de l'imprescriptible dignité de la personne humaine guide à l'avenir nos actes. »
Ce devoir, vous l'accomplissez aujourd'hui et je tenais à vous dire toute notre gratitude pour cela.
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